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Masterclass #10 “Take Eat Easy : Les raisons d’un échec”

Actualités de Startup Palace

Ce 29 novembre, nous avons accueilli Alban Masse pour la dernière Masterclass du mois de novembre. Ancien Regional Manager chez Take Eat Easy, Alban a vécu la fin de l’aventure de l’intérieur et après quelques mois de recul, il est venu nous partager sa vision des raisons de cet échec ainsi que les enseignements qu’il a su en tirer.

Pour ceux qui ne connaissent pas la startup, place à un petit récap. Créée à Bruxelles en 2013, Take Eat Easy était spécialisée dans la livraison de repas à vélo. Comme ses concurrents directs, Foodora ou Deliveroo, le service faisait le lien entre des restaurants et des particuliers désireux de se faire livrer un repas, par le biais de coursiers à vélo. Présente dans plus de 20 villes en Europe, la startup était une des pépites du moment.

Mais pour Take Eat Easy, tout s’interrompt brusquement le 28 juillet 2016. Alban raconte que ça a été comme une sorte “d’explosion”. Toute l’équipe nantaise s’est réunie ici, au Startup Palace dans cette même salle, sans trop comprendre ce qu’il se passait. À 9h, le CEO les appelle pour leur annoncer la nouvelle “vous saviez qu’on cherchait à lever des fonds, vous saviez qu’on avait du mal. Ce que vous ne saviez pas, c’est qu’on est à court de cash et que depuis hier soir minuit, on est en cessation de paiement”.

Pour toute l’équipe, c’est le coup de massue, on leur explique que les dernières factures des coursiers, des restaurants mais aussi leurs salaires ne pourront pas être payés. “On s’attendait à se prendre un gros raz-de-marée, mais c’était surtout une grosse déception parce qu’on avait l’impression que c’était une entreprise qui cartonnait, c’est ce qu’on vivait, c’est ce que nos clients nous disaient, c’est ce que tout le monde nous disait”. Passé le choc, il a donc fallu appeler une centaine de restaurants et de coursiers pour leur annoncer qu’ils ne pourraient pas être payés. “C’était très difficile à gérer, mais en même temps ça fait partie des points dont on est assez fiers, c’est que ça n’a pas dérapé”.

Alors pourquoi, une startup qui, aux yeux de tous était une des plus successful du moment, a-t-elle brusquement implosée ? “La question ce n’est pas tellement pourquoi il n’y avait plus de cash, car c’est une entreprise qui pour exister, pour se développer avait besoin de consommer et de burner des capitaux super vite. La vraie raison de l’échec et la seule, c’est que plus personne n’avait envie de perdre de l’argent dans cette entreprise”. Il revient donc de s’interroger sur “pourquoi personne en mai-juin-juillet n’a voulu mettre des millions dans le développement de Take Eat Easy ?”

Pour Alban, il y a plusieurs explications. En premier lieu, il aborde le sujet du business model de Take Eat Easy, complexe et peu rentable malgré son potentiel innovant. “C’est un business model, avec lequel on veut contenter tout le monde. Mais on se rend compte que contenter toutes les parties avec lesquelles on travaille, ça a un coût”.

Ça passe par le fait de bien équiper les restaurants et les coursiers, les rémunérer correctement et s’en occuper. Cela passe aussi par le fait de répondre aux attentes des clients, avec un site internet de qualité et un marketing à la hauteur. “Il y avait une structure de coûts énorme avec des frais fixes, mais bizarrement personne ne s’en rendait compte”. Il raconte qu’au début, les investisseurs étaient tous emballés par l’idée de mettre de l’argent dans ce genre de structures, mais qu’au fil des années et avec le développement d’une concurrence forte, cette tendance s’est estompée.

Deuxième élément qu’il soulève, c’est l’inaccessibilité de certains marchés. Pour eux, l’exemple parfait est la ville de Londres : “Pour donner un ordre d’idées, on a fait autant de commandes en 2 ans à Londres, qu’en 3 mois à Rennes”. Il explique cet échec par le fait que Deliveroo est né là-bas et avait déjà trusté le marché avant qu’ils ne s’y installent. L’ennui, c’est que conserver une équipe là-bas et maintenir le service a entraîné beaucoup de pertes, pour une ville qui ne réalisait pas de chiffre. Et c’est aussi quelque chose qui a fait douter les investisseurs, car avec l’ambition d’être dans les plus grandes capitales européennes, voir que Londres ne marchait pas a rendu les choses plus difficiles.

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Le troisième élément que nous soulève notre intervenant, c’est ce qu’il appelle “le difficile choix des investisseurs”. Il nous raconte que lorsque l’aventure s’est terminée, les 4 fondateurs étaient toujours majoritaires. “La question qui se pose c’est, est-ce qu’il faut mieux avoir 1% d’un milliard ou 50% d’une boîte qui coule ?”. Les fondateurs avaient pour intention de se diluer après la grosse levée de fonds présumée, mais elle n’est jamais arrivée. Autre point, c’est qu’un investisseur de Take Eat Easy, Rocket Internet, détenait également Foodora, un de leur concurrent. “Ça veut dire que dans toutes les décisions stratégiques du board de TEE, il y avait un actionnaire qui avait aussi un pied dans la boîte concurrente. Ça pose un problème déontologique énorme et ça augmente la concurrence, ce qui fait que ça coûtait si cher à développer”.

Pour notre interlocuteur, ce qui a aussi surtout joué, c’est le marché très concurrentiel dans lequel ils étaient lancés, avec une multitude d’entreprises avec le même modèle. Cette forte concurrence a poussé tout le monde à dépenser des sommes de plus en plus grandes pour être le meilleur, le plus reconnu et le rester. Certaines entreprises avaient déjà levé beaucoup d’argent (Deliveroo 400M€) et dans la course à celui qui dépensera le plus de cash, certains se sont évidemment épuisés plus vite que d’autres.

“Pour être le plus compétitif, c’est des sommes d’argent énormes de perdues. Et ça c’est l’effet de la concurrence”. Le but de l’équipe nantaise, c’était de détrôner Deliveroo. “Take Eat Easy misait tout sur l’exécution et donc exécutait plutôt mieux que ses concurrents, c’est notre fierté. Mais évidemment ça ne sert à rien si on ne peut pas tenir financièrement”. Cet effort de différenciation passait par un équipement haut de gamme confié aux restaurateurs et aux coursiers, un niveau de revenu garanti pour les coursiers, le choix des meilleurs restaurants, une expérience client de qualité avec un site clean et optimisé…

“Ce sont des coûts qui deviennent indispensables dès lors que vous n’êtes plus tout seul dans votre écosystème et que vous êtes en face de quelqu’un de beaucoup plus riche que vous qui ne lésine pas sur les conditions commerciales”. Il termine, “l’exécution c’est important mais je pense qu’il faut se rendre compte des coûts à venir du fait d’être dans un écosystème ultra concurrentiel avec des gros poissons qui peuvent tenir 5 voir 10 ans à perte”. Cette véritable stratégie d’asphyxie de la part des concurrents aura donc fini par leur être fatale, mais Alban se défend tout de même “il ne faut pas croire que Take Eat Easy n’était pas rentable, que c’était une catastrophe, c’est juste qu’on aurait eu besoin de quelques années de plus, mais les gens se sont dit « on ne mettra pas plus d’argent dedans car dans 10 ans il y en aura bien un qui aura racheté tout le monde » ”.

Alban Masse nous présente ensuite les enseignements majeurs qu’il tire de cette expérience, qui peuvent également servir de conseils aux entrepreneurs.

  1. Le mythe du blue ocean “Un business de fou, s’il est vraiment fou, va attirer du monde et ça risque de coûter très cher”.
  2. “Les investisseurs peuvent se rétracter au dernier moment. Un fond d’investissement devait investir 30M€ chez TEE et il s’est rétracté. C’est aussi pour cette raison que la fin était si brutale”.
  3. “Bien choisir ses investisseurs et savoir lâcher les parts qu’il faut si besoin, au bon moment”.
  4. “Savoir fermer une partie de son business s’il le faut, même si c’est un choix difficile”.
  5. “Gérer la période post levée de fonds. On a trop raisonné comme des gens qui avaient de l’argent et on avait pas conscience de tous les coûts associés”.

Dans la deuxième partie de la Masterclass, Alban aborde plus spécialement le cas de Nantes, avec son organisation interne et l’état du business à l’échelle locale. À Nantes l’équipe était articulée de la manière suivante : un business developer pour s’occuper des partenariats, un account manager pour gérer la suite du partenariat et garantir qualité et exécution, un stagiaire pour la communauté de coursiers, un stagiaire à la communication et un regional manager pour superviser l’équipe et être garant de l’activité commerciale. La startup était structurée d’une façon très performante et très efficiente pour notre intervenant. “Les villes se sentaient responsable de tout, leur activité, leur KPI.. On bossait mieux et le fait que ce soit transversal pour faire le lien avec toutes les villes marchait très bien. Il y avait une parfaite autonomie mais on était très bien cadrés”. Quelque chose de primordial pour Alban c’est également la force d’un bon recrutement : “Take Eat Easy était un business qui faisait bosser le weekend et le soir jusqu’à 23h. Il fallait être prêt à agir en cas de problème. D’où l’importance d’un recrutement adapté”. L’équipe a été un point clef à Nantes et c’est une des choses qui a fait que ça a fonctionné selon lui. La culture d’entreprise était également très forte. “Un des gros succès à été de donner l’impression à chacun de contribuer à une entreprise qui allait changer le monde. Ça animait les équipes”. Il précise aussi que les coursiers et les restaurants étaient aussi de super leviers marketing qui ont joué un grand rôle dans la réussite de la startup à Nantes.

Alban Masse conclut avec un dernier mot pour Startup Palace, “Un bon 20% de notre succès vient de l’endroit où on bossait. Plein de startups nous ont encouragés ou donnés des feedback. Il y avait une émulation ici qui fait qu’on a parlé de nous bien plus que ce qu’on aurait pu faire seul”.

Nous remercions chaleureusement Alban pour sa venue et son décryptage plein de bon sens et d’humilité. Lors de cette soirée, il nous a rappelé l’importance de savoir rebondir et tirer des leçons des échecs qui viennent bousculer le quotidien.

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