Je réponds avec plaisir à l’invitation amicale du startup Palace pour témoigner de mon expérience au sein de l’agence Troopers autour de la gouvernance partagée, de notre passage en Holacratie en 2019 des étapes actuelles et prochaines et des enseignements qu’on peut déjà en tirer aujourd’hui. C’est d’ailleurs la forme que j’ai choisie : raconter notre histoire comme une conjonction de hasards heureux m’ayant conduit à tirer des enseignements que je vous invite à lire en gardant en tête ma propre insuffisance : je ne suis ni sociologue ni chercheur en sciences comportementales !
Avant de parler de gouvernance partagée ou d’entreprise libérée, je vous propose de nous arrêter sur le terme d’organisation. En général, quand on pense « organisation » dans le sens « organisé », on pense à gestion, rigueur, planification, méthode… On l’associe à des outils de structuration et communication, à des processus et à une hiérarchie plutôt descendante.
Avec un peu d’intérêt pour l’étymologie sans pour autant avoir besoin de notions de latin, on repère sans difficulté le radical ORGAN et donc le sens premier où des organes fonctionnent ensemble, partagent un corps commun, un réseau de communication, une chronobiologie (organisation temporelle), des mécanismes de régulation à la recherche d’un but commun. L’étymologie du mot société nous éclaire aussi. Du latin socius : compagnon, une société défini un groupe d’individus unifiés par un réseau de relations, de règles, de culture, de traditions
La bohème
À 25 ans, en sortie d’étude, fin 2011, je n’avais honnêtement pas pris le temps de m’interroger plus longtemps sur ce que je m’apprêtais à créer. Je ne me jette pas la pierre d’avoir foncé tête baissée dans cette aventure entrepreneuriale, si on attend d’avoir la vision parfaite pour se lancer, on ne se lance jamais.
De mon côté, après des années d’études où on avait tenté de me former, de me remplir de savoirs, je choisissais de reprendre ma forme, jaillir, être libre, écrire ma propre histoire, choisir mes projets, mes outils de travail, mes clients, mes collaborateurs et d’assumer un niveau d’exigence très élevé.
Je le savais, rejoindre une boite déjà en place était beaucoup plus simple : un meilleur salaire, une situation beaucoup plus confortable. Je venais d’avoir mon premier fils, ma femme était enceinte du deuxième et on avait prévu de se marier quelques mois plus tard… Je prenais un grand engagement, semé d’embûches, risqué et demandant un investissement personnel très important mais j’avais l’intuition à la fois que j’en étais capable, que je pouvais apporter quelque chose de nouveau et qu’un jour cette boite servirait de tremplin.
Alors je ne parlais pas d’une « organisation », je ne m’étais jamais interrogé ni même préparé à en créer une. J’avais bel et bien créé une entreprise et j’étais tout à fait un entrepreneur avec l’ambition naturelle mais non moins égotique que cette structure porte ma vision et j’avais partout autour de moi des exemples d’entreprises, plus ou moins cool, plus ou moins efficaces. Honnêtement, j’ai adoré cette période ou je créais tout à partir de rien, où mes clients voyaient en moi un partenaire de confiance et où mes proches, famille et amis applaudissaient mon parcours. Je dirigeais une petite équipe à l’instinct, je croyais vraiment qu’elle offrait beaucoup de liberté et qu’il était plaisant d’y travailler.
J’accélère un peu la bande et je passe les détails pour aller au premier changement d’ère. Au bout de 4 ans avec un fonctionnement relativement classique, l’agence était plutôt bien installée. Nous avions des clients récurrents et comptions une dizaine de salariés avec un turnover quasiment nul et une double activité d’agence et d’éditeur logiciel Open Source.
Mais avec une moyenne de 60h de travail par semaine, j’ai commencé à fatiguer sérieusement. J’ai commencé à perdre ma barbe en pelade, j’enchaînais les migraines et j’avais fréquemment et littéralement des pincements au cœur par une trop pauvre hygiène de vie : manque de sommeil, de sport, de loisirs, alimentation franchement moyenne.Je sentais aussi que ce choix de liberté que je croyais avoir fait en créant cette entreprise s’éloignait à mesure qu’on grossissait.
Et si mes collaborateurs avaient l’air de tous être reconnaissants pour les conditions de travail et l’ambiance qu’il y régnait, je sentais pour ma part poindre de la frustration. En effet, j’avais tenté de l’éviter mais ma position dans l’entreprise de président fondateur, actionnaire majoritaire, lead développeur, tête visible dans les réseaux me donnait clairement une place démesurée au sein de l’entreprise.
J’aurais voulu être un pilier, j’étais la clé de voûte. J’aurais voulu avoir des collègues, j’avais des collaborateurs ; être un ami fidèle ou un grand frère pour eux, j’étais un père, celui qui paye les factures, qui jette un œil au stock de papier toilette, de boissons chaudes et qui offre une boite de chocolats pour Noël et une prime à celui qui a des bonnes notes…
Et puis, ma compagne allait définitivement me réveiller. Elle m’avoua qu’elle était lasse de tout ça, qu’elle n’était plus heureuse et ne voyait pas le bout du chemin… elle voulait un mari, un ami, un amant, un père de famille présent et engagé. Comment avais-je pu la trahir à ce point ? Et quelles solutions ?
L’étincelle
À ce moment, mon ami Ludovic Simon faisait jaillir à mes oreilles le concept d’entreprises libérées en m’offrant le livre jaune, Liberté & Cie, d’Isaac Getz. En travaillant sur sa posture, en cassant la pyramide, en offrant la transparence totale et en supprimant la contrôle, on libérait les énergies dans une entreprise. Après avoir dévoré ce livre, plein d’espoir, je revenais à l’agence en expliquant tous les fabuleux concepts que j’avais compris, cette nouvelle philosophie du leader jardinier, etc. J’ai annoncé en tant que CEO toutes sortes de changements à effets quasi-immédiats :
- je redevenais pur développeur, c’est là où j’ai le plus de valeur,
- je réduisais drastiquement mes heures de travail (je ne travaillerai plus le week-end et je ne ferai plus de nuits blanches pour rattraper les retards de l’équipe),
- je n’étais plus CEO et une personne qu’on avait recrutée quelques mois auparavant occuperait ce rôle de gestion et représentation,
- j’abandonnais de nombreuses charges notamment de m’occuper du lieu (papier toilette, etc.),
- les processus (recrutements, investissements & achats…) ne devaient passer par moi que si mon expertise était attendue,
- chacun était responsable de son job, de ses conditions de travail, du temps de travail etc.
J’ai fait ce que j’avais dit, j’ai sérieusement réappris à vivre et bien que je n’ai pas senti l’entreprise se transcender, ça fonctionnait bien sans que je sois sur tous les fronts. Mais si à la fois j’adorais retrouver une vie plus saine, j’avais la désagréable sensation de sentir que l’entreprise se transformait en un radeau qui se laissait porter par l’inertie d’un moteur désormais disparu. C’est plutôt logique car si j’en faisais beaucoup moins, les autres n’avaient pas vraiment changé leur manière de travailler.
Nous sommes formatés à la structure pyramidale. C’est la forme classique. On l’apprend partout et en premier lieu à l’école. Ce n’est pas un modèle dominant, c’est le seul qu’on nous présente. L’éducation, qu’elle soit institutionnelle ou dans le cadre familial (sauf rares exceptions), nous prépare à négocier notre insertion dans une organisation, respecter la hiérarchie, prouver notre mérite, être malin, monter les échelons, gagner plus et éventuellement diriger à son tour. Quand on apprend alors qu’il existe une autre voie possible, on doute forcément. Alors, soit on se donne du temps, soit on le refuse car on n’a pas de temps à « perdre ». Et en effet, certains sont partis du bateau car c’était trop perturbant pour eux. D’autres avaient juste besoin de temps pour réussir à envisager de s’approprier ce paradigme et surtout comprendre quelle place occuper dans ce nouveau genre d’organisation.
Le réveil du bas de la pyramide
Un an après ce premier changement personnel et mon souhait de nous voir nous diriger vers un nouveau mode d’organisation, un des collaborateurs a partagé un événement animé par Ludovic Simon, fondateur-dirigeant de DoYouBuzz qui présentait son expérience de libération d’entreprise avec un focus sur la culture (voir article). Ça se passait au Palace (the place to be 👏) ! Au retour à l’agence, une grande discussion a eu lieu. Ils avaient compris et je sentis l’organisation basculer ce jour-là.
Si l’aventure était belle jusqu’à présent, je considère les mois qui ont suivi cette prise de conscience collective comme la naissance d’une nouvelle entreprise. On abandonnait ma vision initiale et on adoptait une culture commune, on nommait nos valeurs, ce qui nous faisait nous lever le matin, les objectifs que nous pourchassions. Alors, on devenait avec une fierté sans borne l’entreprise libérée Troopers Web Republic. On choisissait ce nom après un long travail mené par notre designer Clément Menant en concertation avec l’équipe complète. On s’appropriait cette identité et on aimait ce qu’on avait créé ensemble.
L’Entreprise libérée
On était pleinement dans le concept d’entreprise libérée :
- des règles & des rituels définis ensemble,
- une transparence absolue (sur tout),
- l’absence de contrôles « descendants » en gardant en tête qu’on se fait confiance et que « celui qui fait sait »,
- des décisions prises sur la base de la sollicitation d’avis (« quiconque est habilité à prendre toute décision sur un sujet où il est légitime sous réserve de solliciter l’avis de plusieurs personnes concernées ou affectées par cette décision sans obligation d’en tenir compte »)
- …
Je sentais un esprit d’équipe tout à fait différent, de nouveaux piliers, une cohésion véritable et un attachement beaucoup plus prégnant quant à l’avenir de Troopers : je me sentais beaucoup moins seul dans le pilotage de l’agence. La créativité, la prise d’initiative, la prise de décision, tout se libérait et on sentait qu’on était dans le vrai. Honnêtement, je n’avais jamais connu telle cohésion. Il était toutefois déjà un peu difficile pour moi de trouver une place normale.
J’aspirais à être considéré comme n’importe quel membre de l’organisation car je ne me reconnaissais pas dans le rôle de « Leader libérateur » que j’avais pu lire dans certains livres sur l’entreprise libérée. Je voulais pouvoir m’exprimer sainement, débattre sans que ma parole soit prédication mais je sentais qu’il demeurait difficile pour les Troopers de ne pas voir ou rechercher en moi un patron.
> Allez, un petit coup d’étymologie, je vois que ça vous manque : Patron vient de Patronus qui signifie « Père » & « protecteur ». On est en plein dedans une nouvelle fois. J’aurais peut-être dû accepter ce rôle ou une partie de celui-ci. Après tout, les exemples que l’on peut voir ailleurs ont souvent (toujours ?) une forte figure patriarcale. J’avais l’espoir qu’en provoquant l’absence de patron, en le recherchant, cela finirait par se mettre en place naturellement.
Pendant 2 années, nous allions changer notre manière de travailler et de facturer en passant à un Agile plus pure. Nous étions plus puissants qu’avant et nous nous sentions de prendre des projets de plus en plus ambitieux. Côté recrutement, ça fonctionnait bien aussi. Ce qui se dégageait de l’équipe était très séduisant et nous allions finir 2017 avec une quinzaine de collaborateurs.
Un déséquilibre dans la Force
Malgré des indicateurs au vert, nous allions néanmoins commencer 2018 avec un terrain difficile. En effet, nous perdions pour diverses raisons 4 piliers en l’espace d’une année. Au delà des difficultés de remplacer ces personnes et la tristesse de voir partir des gens avec qui on aimait vivre et travailler, leurs départs allaient déséquilibrer l’organisation et faire chavirer l’équipage restant. En quittant cette entreprise qu’ils avaient participé à construire et à libérer, en laissant les responsabilités qu’ils avaient prises, ils nous identifiaient, Paul et moi, les 2 cofondateurs comme les seuls témoins de cette histoire spéciale. De par la personnalité de Paul qui souhaitait rester dans le domaine purement technique, je retrouvais nombreuses casquettes dont celle, sans la nommer, de CEO. Avec une majorité de recrues relativement nouvelles, on était de retour à la case départ.
Avec ce changement d’équipe, nous allions revivre sans le savoir cette année d’inertie qui avait permis à la première équipe de s’approprier pleinement le paradigme de l’entreprise libérée et d’en devenir acteur. N’ayant pas anticipé cette situation, nous avions remplacé chaque poste et, galvanisés par les bons résultats de 2017, allions embaucher plusieurs autres personnes pour dépasser fin 2018 les 20 collaborateurs.
Franchement, ce n’était pas un problème de personne, il n’y avait aucune mauvaise recrue. Chacun⋅e était tout à fait capable, généreux⋅se, compétent⋅e et faisait sa part. Ce qui pêchait était à un tout autre niveau : celui de la prise de responsabilités, de décisions, d’engagements dans la stratégie de l’entreprise et je sentais l’entreprise dans une situation difficile.
Bien sûr, nous accompagnions les nouvelles recrues dans leur intégration mais elles semblaient manquer de structure et chercher désespérément les managers.
On comprenait un peu tard, que nous allions devoir mettre en place un programme d’intégration beaucoup plus évolué, sur une année aidant à passer par différents stades. La barre était haute pour les recrues : il fallait s’intégrer dans une nouvelle équipe, appréhender une manière de travailler et assimiler quasiment seul tous ces nouveaux concepts, certes inspirants mais tellement perturbants lorsqu’on les découvre tous en même temps. Nous devions mettre en place un accompagnement renforcé sur ces concept spéciaux de gouvernance partagée et accepter que cela prenne du temps.
Et de mon côté, j’étais tout aussi perdu que les autres sur le rôle que je devais prendre. Plusieurs personnes attendaient de moi que je prenne plus de place mais comment le faire en laissant une place à un autre leadership, décentralisé et plus légitime que celui du fondateur. Je sentais qu’il y avait une vraie différence de perception à mon égard. Ma présence, ce que je pouvais dire ou ne pas dire avait un poids anormal et pouvait déclencher chez certain·e·s des sentiments excessifs (en bien ou en mal).
J’ignore si c’était réellement moi qui me comportais différemment des autres ou bien si c’est un biais chez les autres dû à ma position d’ex CEO et si le phénomène était amplifié par un contexte commercial difficile. En tout cas, ce fut une période difficile à vivre pour moi et qui a fait naître beaucoup d’interrogations.
Un faux rythme s’installa entraînant des difficultés pour garder notre qualité de service, innover, prendre des décisions sans que j’en sois l’instigateur et pour rentrer suffisamment de nouveaux projets. Ainsi, l’année 2018 se termina en cauchemar avec la perspective d’une banqueroute.
Pour le meilleur et pour le pire
L’année 2019 fut à ce jour la meilleure et la pire de notre histoire.
La pire année évidemment pour le tableau que je viens de vous dresser. Nous allions devoir nous résoudre à admettre que l’entreprise ne fonctionnait plus et demander une procédure de redressement judiciaire (RJ pour les intimes) consistant au gel des dettes et à la création d’un plan pour redresser l’entreprise. Cette année fut une vraie épreuve.
La meilleure année car si cette nouvelle équipe n’avait pas réussi à maîtriser le bateau en 2018, son attachement aux valeurs, au projet et aux équipiers était resté intact pour la majorité des Troopers. Une nouvelle âme allait se forger dans le charbon encore fumant. Comme si, le feu désormais éteint, on pouvait enfin se taire, contempler les dégâts, pleurer, se réconforter puis nettoyer et reconstruire. Chacun⋅e comprenant son devoir de compagnon de galère.
Habituellement à destination de nos clients, nous nous appliquions les méthodes du design thinking (Boost Session & Design Sprint) pour identifier les grands axes d’amélioration et trouver des solutions adaptées. Nous décidions collectivement de la stratégie à adopter, à savoir se fédérer autour d’un programme nommé Équinoxe (pour la notion d’équilibre qu’il suggère), créer des commissions pour réformer massivement, rebâtir une nouvelle structure plus résiliente, repenser notre métier, nos processus et notamment le sujet qui nous intéresse ici, le système de gouvernance.
L’Holacratie comme cheval de bataille
Désireux de ne plus réinventer la roue et soucieux d’adopter une méthode de gouvernance suffisament documentée et stable, nous nous sommes alors focalisés sur l’Holacratie, une méthode organisationnelle que j’avais découverte dans plusieurs ouvrages, dont le best-seller de Frédéric Laloux, Reinventing Organizations, un livre incontournable et très inspirant.
En creusant l’étymologie du mot Holacratie quelques instant, on retombe sur le concept d’Organes et par extension sur les termes d’holon et d’holarchie. Un holon est à la fois un tout et la partie d’un tout. Pour illustrer le concept, on prend souvent l’exemple des organes et du corps humain : le cerveau est un holon, indépendant dans son fonctionnement mais fatalement dépendant d’autres holons, de niveaux et de tailles différents, qu’il s’agisse du petit neurone, du poumon ou du corps tout entier.
Chaque niveau, holon, transcende le niveau précédent au niveau de sa raison d’être, sans qu’il y ait d’ingérence des holons de niveaux supérieurs ou parallèles. Par exemple, le corps ne commande pas le cœur, mais il existe tout un système de communication visant à lui donner les informations nécessaires pour qu’il se mette à battre plus ou moins fort en cas de besoin. À un niveau inférieur, le cerveau non plus ne commande pas les neurones, chacun connaissant son rôle et ses redevabilités.
Mais contrairement au concept philosophique de l’entreprise libérée, l’Holacratie est une méthodologie, un framework. Certains la considèrent même comme une technologie organisationnelle à part entière. De mon côté, l’Holacratie est à la gouvernance partagée ce que Scrum est au manifeste Agile.
Et en effet, l’Holacratie c’est :
- des règles,
- des rituels,
- une boite à outils pour :
- la clarification des équipes (cercles), rôles et redevabilités,
- la communication & la transmission de l’information,
- la facilitation des réunions,
- le traitement des tensions,
- l’élection,
- le suivi,
- la prise de décisions,
- l’alignement.
- une documentation claire,
- une méthode connue et vivante (elle évolue encore).
Mais même si, rationnellement, l’Holacratie apparaissait comme adaptée pour notre organisation, la lourdeur du framework faisait peur. Un travail important a dû être effectué pour :
- comprendre chaque concept,
- identifier et transcrire ses rôles, domaines & redevabilités,
- ré-apprendre à se réunir en respectant les nouvelles règles en vigueur et qui ne paraissent jamais naturelles au début,
- lire, comprendre et ratifier la constitution,
- apprendre et oser prendre de nouveaux rôles structurels (facilitateur, premier lien, second lien, secrétaire) en plus de ses rôles métiers / opérationnels,
- oser se lancer sans se sentir totalement prêt.
Un accompagnement extérieur sur la mise en place de l’Holacratie nous aurait beaucoup aidés. Néanmoins quand on a un petit budget, qu’on a conscience du temps que ça prend, qu’on a les compétences de formation en interne et qu’on a une équipe volontaire, bienveillante et avec une culture de l’apprentissage et de l’erreur, un tel changement peut largement se conduire en interne.
En tout cas, en janvier 2020, après 6 mois de travail pour réaliser les étapes sus-nommées, nous profitions d’une journée enthousiasmante de présentation d’un bilan d’année particulièrement encourageant et réconfortant pour adopter officiellement l’Holacratie.
Quel bilan tirer après une année d’Holacratie ?
À l’inverse des années Entreprise libérée « 2016-2018 » où l’organisation naviguait de manière plus instinctive avec des hauts et des bas, nous sommes rentrés avec l’Holacratie dans un mode de fonctionnement inverse, stable et ultra structuré.
Voici quelques avantages que nous avons pu constater :
- une meilleure répartition de la parole en réunion,
- un suivi plus rigoureux et un intérêt collectif pour les indicateurs de performance d’un cercle,
- le rythme des réunions imposé par la méthode a permis à l’organisation de s’adapter rapidement au télétravail en cette période de Covid-19,
- le simple fait de créer des cercles pour certains domaines ont permis de leur donner l’importance qui leur revient et de s’inscrire dans une démarche de projet et de travail en équipe,
- les rôles fonctionnels de facilitateur, secrétaire, 1er lien et 2nd lien sont autant de nouvelles compétences que quiconque est amené à expérimenter à un moment,
- les différents types de réunion (triage, gouvernance, stratégie) avec leurs objectifs qui leurs sont propres permettent d’identifier les hors sujets et de gagner en efficacité lors des réunions,
- la notion de tensions a permis de démocratiser/dédramatiser la mise en lumière d’un axe d’amélioration, la proposition de solutions, la discussion, l’amendement et le consentement (ou non),
- un intérêt grandissant pour la santé de l’organisation,
- un intérêt supérieur pour la gestion collaborative,
- suppression de besoin de leader général,
- …
Voici aussi quelques inconvénients ou points d’attention :
- nous avons fait une première grosse erreur en voulant créer trop de cercles multipliant ainsi les réunions et nous donnant l’impression de nous répéter dans plusieurs cercles et de passer notre vie en réunion. Nous avons gagné 2 cercles en les fusionnant avec d’autres et ça a tout changé !
- nous n’avons pas créé immédiatement de Cockpit (tableau physique reprenant checklist, projets, indicateurs) pour chaque cercle ; ça s’est avéré un outil réellement structurant,
- nous avons tenté de mettre en place en même un système d’objectifs par OKR qui a apporté de la confusion. Nous l’avons abandonné et sommes restés sur les indicateurs présents dans chaque cercle,
- avec la volonté de nommer les rôles plutôt que les personnes et le besoin de respecter scrupuleusement les procédures, l’Holacratie apparaît comme une méthode glaciale qui, si l’on n’y prête pas attention, peut nous faire perdre en spontanéité et empathie. Attention à bien prendre soin des humain⋅e⋅s derrière les rôles, nous ne sommes pas des machines !
- l’intégration des nouvelle recrues n’apparaît pas si naturelle ; malgré un processus d’intégration évolué et sur la longueur, parmi les nouvelles recrues de 2020, rares sont celles qui portent des projets ou qui occupent des rôles extérieurs à leur métier (par ex. facilitateur, secrétaire, 2nd lien, 1er lien) ; à voir avec le temps si ça va s’améliorer ou si, lors d’un prochain cycle de départ de piliers, l’organisation revivra une période d’inertie et de réinvention !
- …
Holà sur l’Holacratie
Si Troopers se porte bien après un an d’Holacratie et même si on ne peut évidemment pas lui attribuer tous les mérites, on s’accorde aisément au sein de l’organisation pour reconnaître que la nouvelle structure est une belle avancée. Néanmoins, un doute persiste dans ma petite tête d’idéaliste. Si l’Holacratie apparait à mes yeux comme étant une innovation dans le monde des entreprises et du management, je ne suis pas certain qu’il s’agisse de l’organisation ultime, ni même que ce soit une évolution totalement positive !
L’Holacratie est froide et aucune magie, aucune vibration ne s’en échappe naturellement. Ni pire ni meilleure que celle des fondateurs & managers, l’Holacratie installe une nouvelle forme de hiérarchie, celle des stables et des consciencieux (cf DISC), celle de ceux qui désirent le port d’un masque pour la séparation des mondes pro & perso, celle de ceux qui cherchent un rapport parfait quitte à ce qu’il soit mécanique, qui cherchent quoi qu’il en coûte la rationalisation, le respect de procédures et la « réussite ».
Autant de concepts qui semblent s’installer sans jamais les nommer, bien loin de ceux dont on ose rêver lorsqu’on explore, la philosophie pétillante d’entreprise libérée, l’intégratisme ou le pluralisme des stades jaunes et turquoises de la spirale dynamique ou encore l’élévation du niveau de conscience et de sagesse collectif prôné par la très peu documentée Sophocratie.
Entendre puis écouter la petite voix, s’aligner et s’engager pour son organisation car celle-ci transcende ses propres valeurs, prendre confiance en soi grâce à celle qu’on nous offre de manière inconditionnelle, laisser parler la passion et l’audace, rechercher l’altérité et la diversité, profondément s’entourer d’amour partout dans sa vie, utiliser l’entreprise comme un véhicule vers son propre chemin de vie et profiter du voyage pour ce qu’il est plutôt que d’attendre sa destination : pour le dire autrement, je ne suis pas certain que l’Holacratie puisse tenir la promesse d’une bi-directionnalité entre ses holons, l’organisation au service de ses organes et vice versa.
Mais attention, si je suis critique envers l’Holacratie, elle a été de loin la méthode la plus efficace dans la distribution collective des rôles, dans l’engagement personnel, dans la prise de responsabilités et de partage du leadership. J’en suis largement conscient et je suis vraiment admiratif et reconnaissant envers celles et ceux qui ont pensé cette méthode et qui la font évoluer encore aujourd’hui. Peut-être simplement que la méthode se corrigera en évoluant. Peut-être aussi simplement, qu’à l’instar de l’Holacratie qui s’est développée à partir de la « méthode vide » de la sociocratie, une nouvelle page s’écrira bientôt et fera à nouveau évoluer les organisations humaines.
Alors, voilà je pourrais ne jamais m’arrêter d’écrire sur le sujet tellement il me passionne mais il ne s’agit que d’un article et celui-ci est déjà beaucoup plus long que ce que j’avais prévu de faire alors je vais m’arrêter là. Si vous souhaitez continuer la discussion où me partager vos expériences et conseils, n’hésitez vraiment pas à m’envoyer un petit message sur LinkedIn, je serais ravi d’échanger avec vous.