âđ»Propos recueillis par Claire CAMINATI FARBER, Responsable Communication Startup Palace
Il y a quelques temps, je vous prĂ©sentais ici sur le blog les deux fondatrices de Resap, cette jeune startup spĂ©cialisĂ©e dans l’upcycling. On reste un peu (carrĂ©ment) dans la mĂȘme thĂ©matique aujourd’hui puisque je vous propose d’Ă©changer avec Beryl de Labouchere, CEO et cofondatrice de Tilli, votre couturier Ă domicile. C’est parti !
đ§”Salut Beryl, merci dâavoir acceptĂ© ma proposition dâinterview sur le blog de Startup Palace. Comment tâes venue lâidĂ©e de TILLI ?
Un contexte tout dâabord : Ă©tĂ© 2016, je suis en pleine crĂ©ation de boite ; un Ă©tĂ© oĂč jâai pas mal de mariages, envie dâavoir de jolies mais pas forcĂ©ment les moyens et pas forcĂ©ment envie non plus de cĂ©der Ă la facilitĂ© avec les marques de fast fashion. Il me fallait trouver un systĂšme D.
Je dĂ©cide alors de faire appel Ă une Ă©tudiante en mode. Elle vient chez moi, on regarde dans mes placards et lĂ elle me conseille en fait pour revaloriser mes propres vĂȘtements et leur donnant une seconde vie en les coupant, en ajoutant de petits accessoires, etc. Elle forcĂ©ment, elle allait beaucoup plus loin que moi qui nâavais alors aucune notion de couture.
Je me suis dit quâon tenait lĂ un truc et que clairement entre le couturier que jâavais en bas de chez moi et la couturiĂšre que jâavais en face de moi, il y avait deux mondes. Finalement pourquoi cette complĂ©mentaritĂ© de services nâexisterait pas ? Jâai commencĂ© Ă en parler Ă des amis et je me suis rendu compte quâil y avait un vrai besoin et que jâĂ©tais loin dâĂȘtre la seule Ă avoir des piĂšces dormantes dans le dressing.
Jâai fait revenir lâĂ©tudiante en mode et Ă chaque fois quâelle me dĂ©posait des vĂȘtements, je lui en redonnais. Jâadorais lâidĂ©e de pouvoir finalement faire du shopping dans mon propre dressing. Plus Ă©conomique et Ă©cologique que dâaller dans une boutique de premiĂšre ou de seconde main avec en plus ce cĂŽtĂ© gratifiant oĂč tu as lâimpression dâavoir mis ta patte pour co-crĂ©er un vĂȘtement unique. Bref, jâai adorĂ© ce cĂŽtĂ© authenticitĂ© et rencontre avec lâartisan.
AprĂšs avoir creusĂ© le sujet auprĂšs des artisans, jâai vite compris quâeux aussi avaient du mal Ă trouver du travail, facilement remplacĂ©s par la fast fashion.
Donc je trouvais ça passionnant de mâintĂ©resser Ă ce mĂ©tier, dâessayer de co-construire une solution avec eux pour leur permettre de mieux gagner leur vie, dâavoir un agenda plus flexible.
Et câest ainsi quâest nĂ©e Tilli !
đ§”Qui utilise TILLI et pour quoi faire ?
Il y a plusieurs types de clients. Tout dâabord ceux avec une demande trĂšs basique pour un ourlet ou un pantalon Ă reprendre. Sinon, il y a le client Ă tendance flemmard qui consomme du Uber, frichti, et qui a pris le rĂ©flexe de faire appel Ă Tilli pour faire toutes les retouches de la famille. Ensuite, il y a le client plus jeune et plus crĂ©atif, qui va vouloir acheter du vintage et se le rĂ©approprier, en rajoutant, des empiĂšcements, des strass, pour transformer son vĂȘtement et avoir une piĂšce unique. Et enfin, il y a le client qui vient nous voir pour une piĂšce sentimentale, un peu ancienne, qui a besoin dâun traitement particulier.
Avec TILLI, on est vraiment soit sur de la rĂ©paration pure et dure, soit sur de lâupcycling. 10% des clients viennent avec des idĂ©es dâupcylicng mais 16% des rĂ©parations finissent en upcycling.
đ§”Comment sont dĂ©terminĂ©s les prix sur TILLI ?
Les prix sont affichés directement sur TILL et sont été déterminés directement avec avec nos
Tillistes. On est dans la moyenne des prix de marchĂ©. Par exemple sur un jean, une dĂ©chirure va ĂȘtre entre 10 et 15⏠selon la complexitĂ© de la rĂ©paration (renfort ou non). Si câest juste dĂ©cousu au niveau de la couture de la poche par exemple, cela sera 4âŹ.
đ§”Comment sĂ©lectionnez-vous les couturiers avec qui vous travaillez ?
Aujourdâhui, on a plus de 500 artisans sur la plateforme. Parmi eux : des indĂ©pendants auto-entrepreneurs qui ont une activitĂ© pro Ă cĂŽtĂ© trĂšs Ă©loignĂ©e du mĂ©tier de la couture, des comptables par exemple. Ou encore dâautres qui travaillent avec Tilli pour monter leur entreprise Ă cĂŽtĂ©. On a par exemple pas mal de crĂ©atrices de robes de mariĂ©e. Nous avons Ă©galement des emplois fixes dans nos ateliers Ă Paris.
Les artisans avec qui lâon travaille sont sĂ©lectionnĂ©s avant tout sur le savoir-ĂȘtre et le savoir-faire. On veut ĂȘtre sĂ»rs que ce soit des personnes souriantes, avec le sens du client et toutes les valeurs quâon porte en interne, comme lâhumilitĂ©. Tous les artisans savent retoucher une piĂšce mais ils ont aussi ce goĂ»t et cette connaissance dâupycling, et sont force de conseil vis-Ă -vis du client et des possibles retouches ou transformations Ă faire.
đ§”Quid de la rĂ©munĂ©ration prise par TILLI ?
TILLI prend une commission sur chaque prestation. Les frais de dĂ©placement sont sans commission et directement pour lâartisan.
đ§”TILLI, une maniĂšre de lutter contre la Fast Fashion ?
Ăcologiquement, jeter un vĂȘtement est une aberration. Mais Ă©conomiquement, aujourdâhui, cela se discute. En effet, lâavĂšnement des matiĂšres pĂ©trochimiques â reprĂ©sentant aujourdâhui plus de 65% de celles utilisĂ©es par la mode [ADEME] â et la dĂ©localisation des ateliers de confection, majoritairement vers lâAsie, ont rendu accessible la mode Ă trĂšs bas coĂ»ts. Dâune part, nous avons de moins en moins de connaissances en couture et perdu le rĂ©flexe de rĂ©parer, dâautre part, la rĂ©paration coĂ»te parfois plus cher et demande plus dâefforts que dâentrer dans une enseigne ou cliquer sur un site de fast fashion.
De fait, nous conservons les vĂȘtements environ deux fois moins longtemps quâil y a 15 ans. Certaines estimations suggĂšrent que les consommateurs considĂšrent les vĂȘtements les moins chers comme presque jetables, les jetant aprĂšs seulement sept ou huit lavages.
Lâobsolescence psychologique et Ă©motionnelle de nos vĂȘtements, câest le dĂ©sintĂ©rĂȘt pour un vĂȘtement, peu de temps aprĂšs lâavoir achetĂ©. Aujourdâhui, on se sĂ©pare dâun vĂȘtement :
- Ă 50% pour cause dâusure, une tĂąche ou une promesse technique ou esthĂ©tique qui nâest plus tenue
- Ă 50% par lassitude, changement de style, un trop plein de vĂȘtements ou un changement de taille.
Prendre conscience du problĂšme, câest pouvoir y remĂ©dier ! Dans les deux cas, la rĂ©paration et la transformation de nos piĂšces textiles avec un service comme TILLI rĂ©pondent Ă 100% des motifs Ă©voquĂ©s. Ăconomique, Ă©cologique, sensĂ©, rĂ©parer permet de sâapproprier la mode plutĂŽt que de la suivre, briser le cercle non vertueux de la surconsommation, en passant par une meilleure connaissance de soi.
đ§”TILLI a Ă©tĂ© lancĂ©e en 2017, câest ça ? OĂč en ĂȘtes-vous depuis ? Il y a eu un changement de modĂšle si je ne mâabuse, non ?
Au dĂ©part, on veut servir le client final pour entretenir et faire perdurer tous tes textiles en te faisant rencontrer un artisan. On estime que lâĂ©change, l’interaction humaine avec lâartisan est primordial. Câest cet Ă©change et cette discussion qui permet dâaboutir Ă un service sur mesure, unique et co-crĂ©atif.
Maintenant pour servir au mieux, il faut pouvoir sâintĂ©grer dans le parcours de vie de son client. Mais pour que tu connaisses et que tu aies conscience que tu peux entretenir et faire perdurer tes vĂȘtements, il faut quâon sâintĂšgre dans ton parcours dâachat premiĂšre main et seconde main. On sâintĂšgre aujourd’hui chez des marques de prĂȘt Ă porter retail et dĂ©co pour quâun systĂšme de retouche soit automatiquement proposĂ© et quâen cas dâusure les clients puissent le faire rĂ©parer. Câest le cas par exemple avec les marques Aigle et Tara Jarmon avec qui nous travaillons.
On a deux modĂšles :
Le premier : le client se rend en boutique pour demander un service de rĂ©paration pour un produit dĂ©chirĂ©. La marque prend alors RDV avec lâun de nos TILLIstes directement au domicile du client, sans que celui-ci ait besoin de retourner en boutique.
Le 2e : le client laisse son produit déchiré dans la boutique pour le faire réparer et TILLI envoie un couturier pour procéder à la réparation. Le client pourra ensuite sous 3 à 5j venir récupérer son produit réparé.
đ§”Combien ĂȘtes-vous dans lâĂ©quipe aujourdâhui ?
15 personnes et nous sommes en cours de recrutement.
Nous sommes 3 cofondateurs : Antoinette sur lâopĂ©rationnel & finances, Benjamin sur la tech et moi sur toute la partie commerciale & market.
Nous travaillons avec une 50aine de marques partenaires et aussi des conciergeries dans les hĂŽtels ou des conciergeries comme Merci Alfred, Clac des doigts.
đ§”Quid de lâinternationalisation de TILLI ?
Aujourdâhui TILLI est disponible partout en France. On veut pouvoir se dĂ©velopper rapidement en Europe et rendre accessible un artisan localement pour rĂ©parer, ajuster etr rĂ©inventer nos objets du quotidien.
Les marques aujourdâhui ont un gros frein : elles vendent sur des plateformes multimarques et derriĂšre, elles redispatchent dans le monde entier. Le fait que TILLI ne soit prĂ©sent que dans un pays va contraindre la marque Ă faire une diffĂ©renciation de service par rapport Ă la zone gĂ©ographique. Ou alors ça la force Ă trouver un TILLI bis dans le reste de lâEurope. Câest une barriĂšre contraignante quâil faut vite soulever.
đ§”Vous avez aujourdâhui des partenariats avec des marques de mode emblĂ©matiques. En quoi consiste ces partenariats ?
On a récemment signé Bash, et on travaille aussi avec Tara Jarmon, Faguo, le BHV, ou encore Asphalte.
En intĂ©grant TILLI, lâidĂ©e est de rassurer le client et de tendre vers la rĂ©paration, lâentretien du vĂȘtement. Le marchĂ© Ă©volue, alors autant suivre la tendance. Câest important aussi pour une marque de montrer fiĂšrement quâelle est associĂ©e Ă un rĂ©seau dâartisans locaux et quâelle sâengage dans ce mouvement.
đ§”Comment as-tu fait pour convaincre ces grosses marques ?
Une fois la discussion enclenchĂ©e avec les marques, il y a beaucoup dâidĂ©ologie mais il faut les convaincre Ă y consacrer de lâĂ©nergie et mobiliser les Ă©quipes autour de ces messages. Que les vendeurs en boutiques, le SAV en ligne, le marketing dans sa communication soient proactifs pour informer le client et lâĂ©duquer. La retouche nâest pas un service proposĂ© systĂ©matiquement donc il faut informer le client au moment de lâessayage et la rĂ©paration qui nâaura pas forcĂ©ment le rĂ©flexe de retourner voir la marque pour faire rĂ©parer lâun de ses articles.
Il ne va pour autant pas y penser et bien souvent se dire que la qualitĂ© est mauvaise. LĂ oĂč nous devons avoir la marque qui nous accompagne pour que ce schĂ©ma de pensĂ©e soit inversĂ©. JâachĂšte un vĂȘtement, jâai mis un certain prix je veux pouvoir le choyer et le garder le plus longtemps possible. Ou le revendre en bon Ă©tat plus tard. Du coup la marque va avec TILLI garantir ses produits (produit TILLI Care) et dire au client âPour toute usure ou casse de votre vĂȘtement venez nous revoir et on sâen occupeâ.
Le prĂȘt Ă jeter a assez durĂ©, les mentalitĂ©s ont changĂ© !
đ§”Vous avez rĂ©cemment levĂ© 1,2 million auprĂšs de 2050, le fonds green montĂ© par Marie Ekeland. Quel est lâobjectif derriĂšre cette levĂ©e ?
Nous avons en effet fait une PrĂ©-sĂ©rie A avec 2050. Lâobjectif avec cette levĂ©e est de renforcer la team pour rĂ©pondre Ă la demande grandissante des marques de prĂȘt Ă porter et dĂ©co pour intĂ©grer la rĂ©paration et du service CARE dans leur parcours clients.
đ§”Lever auprĂšs dâun fonds axĂ© green, une Ă©vidence pour toi ?
Oui car 2050 combine Ă la fois la tech et le cĂŽtĂ© RSE. Parfait pour nous donc. Ensuite, il y a les personnalitĂ©s dâOlivier Mathiot et Marie Ekeland, quâon ne prĂ©sente plus aujourdâhui. ainsi que tout le reste de l’Ă©quipe smart et trĂšs Ă lâĂ©coute.
đ§”Est-ce quâil y a une autre startup de la fashion tech dont tu admires le dĂ©veloppement et pourquoi ?
Je dirais fairlymade, par rapport Ă la traçabilitĂ© de la chaĂźne de valeur quâils proposent. Ils sont super transparents vis-Ă -vis du client et la marque est trĂšs (trĂšs) engagĂ©e. Ăa permet de crĂ©er des rĂ©flexes chez le consommateur et chez les marques qui produisent.
Nous en fait, on prend le schĂ©ma dans le sens inverse en regardant la fin de vie pour sauver ce que lâon peut et en tirer des KPIS et des datas quali et quanti pour permettre Ă la marque de comprendre lâusage dans la vraie vie de ses clients et de reprendre la chaĂźne de production / budget / stratĂ©gie en fonction.
đ§”Jâai lu que vous aviez rejoint ââla FĂ©dĂ©ration de la mode Circulaire. Pourquoi câest important pour toi que TILLI aide Ă faire bouger les lignes de lâindustrie de la mode ?
Le consommateur, les marques, le gouvernementâŠon doit tous se mobiliser face Ă lâurgence.
La seconde main a pris un essor Ă©norme mais cela ne ralentit pas la production de vĂȘtements. On estime que 92 millions de tonnes de dĂ©chets textiles sont crĂ©Ă©es chaque annĂ©e par lâindustrie de la mode.
Câest important de mettre lâartisan en face du client pour lâaider Ă faire perdurer son dressing & ses Ă©lĂ©ments de dĂ©co et limiter le passage Ă la poubelle. Depuis le lancement de TILLI, pas moins de 43K de vĂȘtements ont Ă©tĂ© rĂ©parĂ©s et donc sauvĂ©s, soit plus dâ1 million de kg de CO2 !
đ§”Câest quoi ton gros challenge pour 2023 ?
Embarquer un maximum de marques partenaires et imprégner la réparation chez ces marques. Continuer à éduquer le client, qui ne sait pas forcément que son article est réparable et qui donc le jette ou le remplace par une nouvelle piÚce.
On a dâailleurs lancĂ© une nouvelle offre de garantie dĂšs lâachat de son bien pour lui permettre de le rĂ©parer en cas dâusure ou de casse. La marque partenaire peut proposer au client de garantir son article.
LâidĂ©e câest que le client soit en pleine conscience quand il achĂšte son vĂȘtement, quâil se dise quâil va en prendre soin et donc lâassurer.
En gros il va payer son vĂȘtement 3 euros de plus en Ă©change dâune garantie de 5 ans pour faire rĂ©parer gratuitement son article avec TILLI
Avec cette offre assurance en vrai, on nâinvente rien : quand tu achĂštes un frigo, une tĂ©lĂ© ou une voiture, on te propose une assuranceâŠalors pourquoi ne pas faire pareil quand tu achĂštes une robe ou un sac ?
On a prĂ©sentĂ© cette offre dâassurance Ă une 15aine de marques et on a reçu un trĂšs bon accueil de leur part. Elles trouvent ça gĂ©nial pour venir contrer le problĂšme de la rĂ©paration qui est trop coĂ»teuse pour elles ou inconnue des clients.
đ§”En dehors de TILLI, est-ce que tu as un autre geste du quotidien pour limiter ton impact sur lâenvironnement ?
Jâessaie dâacheter au maximum du seconde main ou du local : cela prend du temps mais câest tellement plaisant dâavoir un objet ou des produits aux quotidiens qui racontent une histoire ou son fait en bonne conscience et intelligence. Tous nos bureaux sont de seconde main !!! brocante brocante đ
đ§”Enfin, un dernier mot ?
Ăa fait 6 ans quâon se bat sur la rĂ©paration, pour recrĂ©er un nouveau mĂ©tier autour de lâartisanat, rĂ©duire les dĂ©chets et finalement, on nâest trĂšs peu aidĂ©s en termes de financement. Il existe aujourdâhui beaucoup dâinitiatives ou associations sur ce sujet. mĂȘme un fond de rĂ©paration. Le schĂ©ma est toujours le mĂȘme : lâĂ©tat ne regarde pas les petites initiatives privĂ©es et privilĂ©gie les assos. Sous prĂ©texte quâon est une entreprise privĂ©e, Nous avons dĂ©veloppĂ© des outils tech et un rĂ©seau et un savoir sur le secteur qui doit ĂȘtre mis Ă profit de lâindustrie globale et des initiatives plus larges.Â